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Le "Conte pour enfants" existe-t-il ?
Y a-t-il un âge pour les contes ? Certains diraient celui de l'enfance, si bien que, lorsqu'on passe la puberté, il ne serait plus question de parler de contes "puisqu'on n'est plus des enfants !"

Bien heureusement, le Conte n'est pas réservé aux enfants. Il s'incrit dans l'histoire de l'Humanité depuis son origine... depuis son enfance.
En revanche, si l'on raconte à des enfants, il est nécessaire de prendre en compte la qualité d'enfant de celui qui écoute.
Il serait d'ailleurs plus judicieux de parler de Conte auprès des enfants ou encore de Contes à destination des enfants plutôt que de "Contes pour enfants".

La démarche du conteur et de celui qui écoute ne sera pas la même s'il s'agit :
- d'un enfant qui écoute des contes parce qu'il est là, présent avec ses parents qui écoutent des contes "tout public". Là, la petite oreille repère une situation à l'intérieur de laquelle il a le droit d'écouter, de piocher, de mettre en réserve pour plus tard, même si les contes ne lui sont pas destinés.
- d'un parent qui emmène son enfant écouter des contes. Ce dernier devient alors membre d'un "jeune public", particulier, spécifique. Les Contes sont là pour lui apporter quelque chose dans sa qualité d'enfant. C'est d'ailleurs à ce moment là, la demande du parent. (Attention aux dérives purement éducatives.)
- de groupes d'enfants qui viennent trouver des histoires qui leur sont destinées.

L'histoire du rapport entre le Conte et les enfants :
C'est aux adultes que s'adressaient les contes à l'origine. Dans les sociétés non encore industrialisées, où perdurait (ou perdure encore) la tradition orale, le conte, souvent proche du mythe, était profondément lié à la Culture et à l'Histoire des civilisations et des sociétés.
Les enfants pouvaient participer à l'écoute lors des veillées de racontées, ils pouvaient y piocher, y réfléchir, y grandir, y rêver; mais certaines histoires qui comportaient des passages osés ou lincencieux leur étaient souvent interdites.
Il parait même, mais il ne faut pas le répéter, qu'en fin de soirée, certains enfants faisaient semblant de s'endormir, ou feignaient d'aller se coucher, pour se délecter en cachette de ces histoires interdites ; et il parait même que c'est aussi comme ça, qu'ils apprenaient la vie.

En France, c'est au XVIIe siècle que la littérature de jeunesse s'est emparée de la littérature orale. L'aspect manichéen, imagé et symbolique des contes, cette vision simplifiée et dychotomique du Monde ( le faible, le fort - le gentil, le méchant - le pauvre, le riche - le vilain, le beau) en faisait une littérature facilement déchiffrable pour les enfants.
Charles Perrault avec "Histoires ou Contes du temps passé" en 1697, s'est donc inspiré de contes populaires, pour en faire des adaptations à destination de son jeune public.

On assiste également à un renouveau au XVIIIe siècle où la conception de l'enfant devient celle d'un être autonome. On voit alors naître l'idée d'une littérature spécifique pour l'enfance et la jeunesse, en parallèle avec une certaine préoccupation pour la recherche pédagogique bien visible dans les principaux pays d'Europe.
Le conte prend un tour moral prononcé, avec Mme Leprince de Beaumont, restée célèbre pour La Belle et la Bête.

Au XIXième siècle, les frères allemands Jacob et Wilhelm Grimm publient, en 1812 dans la version originale, puis en 1814 dans une version adaptée pour les enfants (d'après les paramètres de la bourgeoisie), 156 contes appartenant à la tradition orale allemande, "les Kinder und Hausmärchen".
En France, ce n'est qu'en 1836 que les contes des Grimm ont été traduits: "Contes de l'enfance et du foyer."
Dans le dernier quart du XIXe siècle, les veillées se pratiquaient encore un peu partout en France et ailleurs. Quelle y était la place des enfants ?
Les adultes s'étaient regroupés dans l'un des foyer du village et avaient apporté leur ouvrage. Certains égrainaient le maïs, d'autres réparaient leurs outils, les femmes avaient leur quenouille ou leur tricot.
Les enfants circulaient partout, grimpaient sur les genoux des aînés et réclamaient bientôt des histoires.
La première partie de la soirée leur était plus accessible, avec entre deux contes des devinettes, des randonnées, des chansons,...
Lorsque Per Jakez Helias parlait de son grand père conteur, il précisait que ce dernier induisait et réclamait un silence nécessaire pour que le Conte vienne. Et si par malheur quelques bavards ou quelques enfants faisaient trop de bruit, il se levait et s'en allait. Lui arait bien voulu raconter mais "C'etait le Conte qui ne voulait pas !"
En deuxième partie de soirée, les enfants s'endormaient ou allaient se coucher et c'est là que la place se faisait pour les contes plus noirs ou plus coquins...

La tradition des veillées et la tradition orale s'est perdue dans la première moitié du XXe siècle avec l'ouverture du monde rural vers l'extérieur, l'apparition de la radio, des journaux, de la télévision.

Aujourd'hui, la place de l'enfant a changé, l'acces à la culture et aux loisirs également. Avec "Le renouveau du Conte", celui-ci a pris aussi d' autres formes, d'autres approches, d'autres chemins,...A tel point que certains se posent souvent la question "Est-ce que ce que je pratique aujourd'hui est toujours du Conte ?" La question reste présente. "Autrefois était autrefois, mais aujourd'hui est un autre temps"

On peut dire que le Conte est lié à l'enfance... à l'enfance de l'Homme certainement ; et surtout ...à celle de L'Humanité.

De "jolis" contes pour nos charmants bambins ? :
On retrouve dans les librairies une foison de "contes pour enfants" à l'eau de rose. Les images y sont jolies et rosées, les passages inquiétants et cruels ont été édulcorés, les méchants n'y sont plus très méchants...
En effet, certains adultes pensent qu'il n'est pas souhaitable de faire peur aux enfants, qu'il est préférable de leur éviter des passages trop cruels.
Il faut savoir que les enfants sont naturellement cruels et qu'ils ont besoin de savoir que d'autres qu'eux ont également à leurs âges, les mêmes pulsions d'amour, de haine, de colère, de mort... afin de se sentir moins seuls face à ces monstres intérieurs qui parfois les persécutent.
L'important pour eux, c'est surtout que le méchant soit puni à la fin et que le bon l'emporte.
Heureusement il reste des trames authentiques et non censurées mais elles ne constituent pas la majorité des ouvrages.

Voici ce que nous dit Jean Verrier à ce sujet :
"En réalité, les contes sont pleins d'histoires épouvantables : enfants abandonnés, livrés à tous les dangers, cruelles marâtres, ogres et loups gourmands de chair fraîche, pères ou maris bourreaux... La violence et la mort y sont omniprésentes. Mais on sait bien que l'enfant préfère les histoires effrayantes aux histoires roses.
Souvent le conte apparaît aux adultes trop cruel ou trop grossier, ou les deux à la fois, pour être raconté à des petits. Comme cette variante nivernaise du Petit Chaperon rouge où la petite fille, sans le savoir, mange les restes de la grand-mère et boit son sang, sur les conseils du loup. " Pue, salope ! ", miaule la chatte.
On comprend que des parents soient souvent tentés de censurer les contes ou de n'en donner que des versions édulcorées, des versions " pour enfants " comme disent certains éditeurs.
À ceux-là, aux mères américaines inquiètes, le psychanalyste Bruno Bettelheim dit : " Mères, racontez les contes de la tradition orale à vos enfants, vous les aiderez à grandir, vous leur direz des choses que leur âge et votre pudeur vous interdisent de leur dire. "
voici un lien vers le document d'où est issue cette réflexion.



Points de vue de Conteurs... et autres avis éclairants :


Pour apporter votre témoignage

Pierre Jakez Hélias (Les autres et les miens, Plon, 1977)
"Ce n'est pas vrai qu'il y ait eu des contes populaires pour les enfants, et d'autres pour les grandes personnes. Si cela était, il en aurait fallu aussi pour les riches, les pauvres, les maîtres, les serviteurs, les malades des sept péchés capitaux.
La même histoire servait de pâture à tous, chacun y démêlait sa part à mesure, y attrapant quelquefois son compte en passant...Les enfants apprenaient comment il fallait se conduire en écoutant cet étrange catéchisme d'aventures où le miracle allait de soi sans qu'il fallu en remercier personne, où les mots qui leur échappaient ne provoquaient nulle inquiétude, contrairement à certains de ceux qu'ils entendaient à l'église..."

Réaction de Fanny Dekkari - conteuse - à l'article de Jean Verrier, dans le chapitre "De jolis contes pour nos charmants bambins" (avril 2006)
"...vous dites qu'il ne faut pas hésiter à raconter des histoires qui font peur aux enfants (vous citez pour exemple une version du petit chaperon rouge, où celle-ci mange la chair de sa grand-mère et boit son sang). Une conteuse à Marseille avait raconté cette version dans une petite salle. En sortant, tout le monde grimaçait : les parents et les enfants...Le chaperon rouge mange sa grand-mère, la soeur de Cendrillon se coupe les doigts de pieds, Barbe Bleue découpe ses femmes...et j'en passe !
Vous citez aussi Betheileim (désolée pour l'orthographe !) qui parle des frayeurs enfantines dans son fameux livre sur les contes (que, ceci dit, je n'ai même pas voulu terminer !)
C'est Betheileim, me semble-t-il, qui disait aux mères d'enfants autistes "si votre enfant est autiste, c'est de votre faute !). Pour moi, Betheileim, est néfaste au possible, autant que Dolto, Dawson (celui qui a écrit "tout se joue avant 6 ans" que j'ai eu le tort de lire aussi !).
Ecoutez, quand on va voir un film, on choisit le film qu'on veut voir ! Quand on va écouter un conteur...on choisit le conteur qu'on veut écouter, en fonction de certains critères...celui-ci raconte des épopées, celui-là est rigolo...Alors, pourquoi imposer nos contes aux enfants sous prétexte que... Pourquoi, comme je le fais (désolée de me citer en exemple) ne pas leur demander s'ils sont prêts à entendre ceci ou cela. On parle d'agressions, de viols d'enfants, mais certains conteurs ne se gênent pas ! Un jour à Digne, une conteuse disait qu'elle racontait toujours la "petite fille aux allumettes" aux enfants. Pour quoi faire ? Il est con au possible ce conte. Non seulement cette pauvre gamine n'a pas sa mère, mais en plus elle crève de faim et elle en meurt. C'est ça, la vie qu'on propose aux petits ? "Tu vois, si ta mère meurt, hé bé ! Il n'y aura personne pour s'occuper de toi et tu mourras de faim et de froid !". C'est le discours de ce conte ! Désolée, mais je n'y trouve aucune autre interprétation.
A mon fils qui me posait un jour la question, je lui ai dit : "si un jour ton père et moi décédions, ne t'inquiète surtout pas, il y a la famille qui est nombreuse pour s'occuper de toi et le cas échéant, il y a même des gens très compétents en France qui s'occupent des enfants ! Tu ne seras jamais seul !" Ce sont leurs fantasmes, leurs propres peurs que certains conteurs expriment à travers les contes qu'ils choisissent et ils prétextent vouloir permettre aux enfants "d'extérioriser" leurs peurs. Je ne me sentirais pas flattée (comme me l'a raconté un jour une conteuse) si un enfant venait à moi, effrayé, se blottir dans mes bras. Je préfère qu'à la fin du spectacle, ils viennent me faire un bisou un gros sourire sur les lèvres ! D'autant plus, que le gamin repart de sa séance de contes avec ses angoisses. Car, honnêtement, connaissez-vous beaucoup de conteurs qui laissent les enfants s'exprimer pendant le spectacle de contes ? Moi je n'en connais aucun.
Cordialement
Fanny"

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